Les Orléanaises et les Orléanais étaient une nouvelle fois appelés aux urnes, un an après les élections européennes. À l’issue d’une période exceptionnelle pour nous toutes et tous, les 55 nouveaux membres du Conseil municipal ont été élus le 28 juin dernier pour un mandat de 6 ans.

Nous souhaitons, après chaque scrutin électoral, proposer une lecture alternative des résultats à travers une note rédigée par plusieurs membres de notre association. Celle-ci, parce que l’élection municipale est particulière, est évidemment un peu militante avec des points de vue divergents. C’est la force de notre organisation. Tout le monde ne l’a pas encore compris… Quoi qu’il en soit nos contributions ne sont que des analyses personnelles, pas des vérités scientifiques.

Cette note s’inscrit aussi dans la continuité de la conférence que nous avons organisé le 28 février dernier en pleine campagne électorale, avec les représentant·e·s des différentes listes orléanaises : « Comment reconquérir la démocratie ? ». Nous sommes fier·es d’avoir pu contribuer au débat d’idées par ce moyen.

Pour agrémenter cette note nous avons travaillé sur une carte des résultats et de la participation par bureau de vote. Vous pouvez la découvrir à cette adresse : www.bit.ly/TO- Municipales2020.

Le résultat des élections municipales à Orléans est-il une surprise ? Incontestablement, non. Il est néanmoins très riche en enseignements et révèle quelques incertitudes quant à ce que deviendra le spectre politique orléanais dans les prochains mois.

Le niveau de participation extrêmement bas des électeurs et des électrices à cette élection, pourtant plébiscitée auparavant, ne représente pas plus une surprise. Fallait-il s’attendre à autre chose en pleine crise sanitaire ? À quelques exceptions locales près, je ne crois pas qu’un niveau plus élevé de participation aurait pu changer la tendance nationale qui s’est dessinée au cours de ce scrutin et plus largement au cours de la campagne: un mouvement à gauche en faveur de l’écologie, une envie de « changer de têtes » dans les moyennes et les grandes villes, une sanction envers LREM qui s’est inscrite à droite au profit d’une droite plus radicale.

Ne nous mentons pas, si le président de la République voulait une participation élevée il aurait décidé dès le samedi 14 mars, en même temps que de fermer les bars, les restaurants et les commerces, de reporter ces élections municipales. S’il savait que la crise nécessitait le report, pourquoi n’a-t-il pas usé de tout son courage et de tout son pouvoir pour le faire ? Il savait que le second tour, prévu le 22 mars, ne pourrait pas se tenir mais il savait que la crise sanitaire pouvait dissimuler la défaite de sa stratégie électorale – sa défaite – au moins à l’issue du premier tour.

Mais peut-être est-ce pire : il savait qu’il jouait avec la santé des Françaises et des Français, à commencer par les bénévoles qui tiennent les bureaux de vote.

Malgré tout, certains et certaines, diront que l’électorat de gauche s’est davantage mobilisé que l’électorat de droite dans cette élection. En réalité c’est peut-être l’électorat indécis qui s’est le moins mobilisé, à fortiori à Orléans. Et disons-le : c’est triste pour la démocratie !

Une droite divisée dans la durée

La Fondation Jean Jaurès a fait les calculs et l’affirme : le second tour a constitué « une vague de dégagisme conséquent ou, à tout le moins, un grand chamboule-tout » avec « 264 nouveaux maires dans les villes de plus de 10.000 habitants » ; tout en précisant que « nombre de maires qui n’ont pas été réélus le 28 juin dernier ne l’ont pas été tout simplement car ils ne se représentaient pas ».

Dans ce « dégagisme municipal », difficile de classer Orléans où deux candidats se disputaient l’étiquette de « sortant » : Serge Grouard, réélu en 2014, et Olivier Carré, élu en 2015 suite à la démission du premier.

Au final, les électeurs et les électrices les ont départagés en plaçant Serge Grouard en tête dès le premier tour dans 54 bureaux de vote, ce qui lui assurait une avance de 2.047 voix par rapport à tous ses adversaires. Mais on y regardant plus près, on constate que presque la moitié de cette avance, 955 voix pour être précis, est prise dans 11 bureaux de vote : le n°2 à l’école primaire Jacques Androuet Ducerceau (République), le n°12 à l’école primaire Guillaume Apollinaire (Carmes), le n°16 à l’école maternelle Claude Lerude, les n°17 et 18 à l’école maternelle La Madeleiene (Madeleine), les n°20, 21 et 22 à l’école primaire Louis Guilloux (Faubourg Saint- Jean), et enfin les n°24 à l’école primaire André Dessaux, 27 à l’école primaire Marcel Proust et 28 à l’école maternelle René Thinat (Bannier).

De son côté Olivier Carré surprend dans les quartiers populaires, notamment à La Source et à Dauphine, dans lesquels il arrive à se maintenir, révélant peut-être une stratégie électoraliste et communautariste de longue date, sans évidemment effacer la notoriété certaine de celui qui a été député de la première circonscription. Rappelons tout de même qu’un soupçon d’irrégularité pèse sur le bureau n°58 à l’école primaire Pauline Kergomard (La Source), le même qui avait placé l’UDMF en tête lors des élections européennes de 2019.

Difficile en tout cas d’imaginer autre chose qu’une division dans la durée entre ces deux droites. Au moins jusqu’au jour où Emmanuel Macron ne sera plus président, n’attirant ainsi plus dans son giron des figures de la droite modérée. Ou jusqu’à celui où LREM ne cherchera plus à capter l’électorat de droite, mais cela est moins probable.

Difficile aussi d’imaginer Serge Grouard pardonner à celles et ceux qu’il érige en traîtres après son discours lors du premier Conseil municipal de la mandature le 5 juillet dernier : « Sans mémoire, pas de fidélité, pas d’amitié, pas de confiance. L’amnésie autorise toutes les trahisons. Il reste alors la honte dans un recoin de la conscience. ».

Ira-t-il jusqu’à dire un jour, comme Manuel Valls l’avait fait à gauche, qu’il existe deux droites irréconciliables ?

La liste citoyenne de Nathalie Kerrien perçue à gauche

La liste de Nathalie Kerrien est probablement la plus complexe à analyser, de par un positionnement « sans étiquette, libre et indépendant » demeurant un peu flou pour les électeurs et les électrices et d’un score de 6,53% ne reflétant ni sa notoriété (38%), ni sa popularité (15%).

Elle réalise son meilleur score évidemment là où elle a été élue conseillère départementale en 2015, à Saint-Marceau avec 8,44%. Dans ce quartier, seuls deux bureaux de vote lui donne un résultat en deçà de son score municipal : le n°46 à l’école primaire Jardin des Plantes (secteur Ouest) et le n°51 à l’école maternelle Bénédicte Maréchal (Dauphine). Mais trois la hisse à plus de 10% : les n°49 à l’école primaire Maxime Perrard, 52 à l’école maternelle Bénédicte Maréchal et 56 à l’école primaire La Cigogne. C’est dans le canton Carmes – Madeleine, donnant de bons scores à la droite lors de chaque élection, qu’elle réalise son pire résultat avec seulement 5,65% des voix.

Pour le reste de la ville, ses meilleurs scores sont réalisés dans des bureaux votant traditionnellement à gauche. Ainsi, elle fait plus de 8% dans les bureaux n°14 à l’école primaire Jean Zay (Cheval Rouge), n°43 et 44 à l’école primaire du Nécotin (Argonne), n°65 à l’école primaire Les Guernazelles (La Source) en allant jusqu’à plus de 10% dans les bureaux n°31 à l’école primaire Molière (Blossières) et n°41 à l’école primaire Gutenberg (Argonne).

Ces chiffres ne représentent pas qu’une campagne dynamique dans certains secteurs très ciblés puisque d’autres bureaux de vote, où la campagne était menée tambour battant, ont pourtant sonné le glas, à l’image du n°29 à l’école primaire Pierre Ségelle (Gare) où la liste n’a recueilli que 9 voix. Ces chiffres représentent plutôt une tendance de fond : la liste de Nathalie Kerrien était perçue comme une liste de gauche. Ceci s’explique par un programme qui penchait clairement à gauche de l’échiquier politique et par une composition de liste faisant clairement référence à une démarche citoyenne, telle qu’amorcée d’ailleurs en 2014 par Tahar Ben Chaabane avec 3,23% à l’époque.

Même s’il faut rappeler que tous les ex-colistiers et toutes les ex-colistières n’ont pas fait le même choix, le soutien de Nathalie Kerrien à Serge Grouard lors du second tour n’était peut-être pas cohérent d’un point de vue politique au regard de tous ces éléments. En revanche je constate qu’un changement de mode d’élection, tel que je le souhaite, basé sur un scrutin proportionnel comme aux élections européennes, aurait permis de proposer aux Orléanaises et aux Orléanais une alternative à la droite à condition que le bloc de gauche accepte de travailler avec Nathalie Kerrien et son équipe.

Une double défaite pour Jean-Philippe Grand

Le sondage réalisé par IPSOS pour France Bleu Orléans et la Tribune Hebdo en février avait vu juste concernant l’ordre d’arrivée des listes. Celle de Jean-Philippe Grand était alors sondée à 22%, dans une fourchette entre 17 et 26%. À l’issue du premier tour on a finalement constaté que son résultat s’approchait plus de l’estimation basse (19,21%) tandis que la liste de Baptiste Chapuis, sondée à 7%, dépassait l’estimation haute de 10% pour atteindre les 13,92%. L’absence de liste LFI, invalidée par la préfecture mais sondée entre 3 et 8% y est sûrement pour quelque chose.

Toujours est-il que le 15 mars, seul le bureau de vote n°5 à l’école primaire Charles Pensées (Bourgogne) place EELV en tête avec 31,96% des suffrages, ce qui est assez classique ici, et le bureau de vote n°63 à l’école primaire Henri Poincaré (La Source) place le PS en tête avec 30,51%. Au second tour Jean-Philippe Grand ne s’impose que dans 12 bureaux de vote, sur 66, dont un tiers en centre-ville. La surprise dans ce camp vient alors du bureau n°10 à l’école maternelle Les Cordiers (Saint-Marc) qui place Jean-Philippe Grand en tête à 38,61% alors que les résultats du premier tour étaient plutôt défavorables à la gauche. Cela n’a malheureusement pas dépassé les frontières de ce quartier pourtant marqué très à droite. Corinne Leveleux-Teixeira a finalement raison de souligner sur les réseaux sociaux que la défaite de Jean-Philippe Grand en 2020, en pleine vague verte, est plus cinglante que la sienne en 2014, en pleine vague bleue. Concrètement il totalise 7.163 voix au second tour quand son ancienne collègue totalisait 7.622 voix au premier tour en 2014.

Au premier tour, parmi les 50 plus grandes villes de France, 11 sur les 32 où EELV présentait une liste sans le PS ont placé les écologistes au dessus du score de la liste Orléans Solidaire Écologique. Il y a évidemment les bastions de gauche comme Nantes (19,58%, soit 5 points de plus par rapport à 2014), Poitiers (23,89%, 8 points de plus), Rennes (25,37%, 10 points), Rouen (23,15%, 12 points), Lille (24,53%, 13 points), Villeurbanne (27,48%, 14 points) ou encore Strasbourg (27,87%, 19 points) et Lyon (28,46%, 20 points) ! Mais il y a aussi des villes de droite modérée : à Mulhouse où EELV s’était allié au PS en 2014 (21,96%) et à Caen (25,57%, 10 points de plus par rapport à 2014). Sans oublier, dans un contexte différent, Annecy, Bordeaux, Tours ou même Besançon. C’est en particulier de ces 6 dernières villes que vient la deuxième défaite de Jean-Philippe Grand. La vague écologiste aurait en effet pu gagner Orléans si sa liste avait mené une campagne plus dynamique, si elle ne s’était pas laissé emprunter ses thèmes de campagne par les autres listes et, surtout, si elle avait été plus stratégique en acceptant des alliances en vue du premier tour.

Force est de constater que l’alliance au second tour entre la liste de Baptiste Chapuis et celle de Jean-Philippe Grand, pouvant être perçue comme incohérente, n’a pas permis la victoire. En valeur absolue elle n’a d’ailleurs récolté que 47 voix de plus que l’addition du nombre de voix recueillies par les deux listes au premier tour. Ce résultat est celui d’une pré- campagne électorale assez tendue qui a probablement démotivé les électeurs et les électrices de gauche déjà plusieurs mois avant le 15 mars. Pis, il est celui d’une campagne de second tour où la liste de rassemblement n’a pas mis en scène une réelle symbiose et n’a pas montré de complicité.

La gauche remporte malgré tout 9 sièges au sein du Conseil municipal et attendra peut-être encore quelques mois pour se diviser, à l’inverse des 7 élu·e·s de la liste d’Olivier Carré déjà scindée en deux groupes: les proches de LREM, dont on ne sait pas vraiment où les situer vis-à-vis du nouveau maire, et les « minoritaires » – mais « pas dans l’opposition » – emmenés par Olivier Geffroy, que l’on se doute intéressé pour garder son siège au Conseil départemental.

Les masques que nous portons, qu’ils aient été distribués par Serge Grouard durant la campagne ou non, ne cacheront pas forcément très longtemps le désespoir des électeurs et des électrices à l’égard de ce monde politique, qui plus est après une première séance du Conseil métropolitain surréaliste.

La vie politique orléanaise nous réserve tout de même encore de belles surprises. Vive la démocratie, vive Orléans !